L'ARBRE À PALABRES, Sagesse & beauté

ÊTRE ENSEMBLE

« Etre ensemble, 
c’est être le gardien de la liberté de l’autre »

 

Vous faites l’éloge du mariage, mais la moitié des unions se terminent par un divorce…

Christiane Singer : Dans notre société si développée par certains aspects, une dimension reste sous-développée : l’apprentissage et le respect de la relation. Toute relation donne son fruit dans la durée. Plus personne ne le soupçonne. Nous croyons devoir être en permanence dans une relation gratifiante. Ce n’est pas possible. C’est demander à la nature d’être dans un printemps permanent. Il n’y aurait jamais de récoltes, jamais de repos hivernal. Vouloir prolonger l’état de la lune de miel toute une vie, c’est de l’eau de rose. Il faut oser la métamorphose. Je vis en Autriche dans une région froide. En plein hiver, tout est mort. Les arbres ressemblent à des balais retournés, plantés en terre. Dans la logique de notre société, vous diriez : « Cet arbre est mort, il faut l’abattre. » C’est ainsi que beaucoup de personnes arrêtent leur relation en croyant qu’elle est finie, alors qu’elle est juste entrée dans le mystère de l’hiver. Il suffirait d’attendre, de rester dans le respect l’un de l’autre et de prendre un instant ses distances. Il ne faut pas se décourager de la relation sous prétexte qu’elle traverse une phase difficile.

Les hommes et les femmes d’aujourd’hui hésitent à s’engager. N’est-ce pas parce qu’ils savent qu’ils ne tiendront pas un engagement pour la vie ? 

CS : C’est une manière de s’accommoder avec le fait d’être minable. Je me suis réveillée l’autre jour avec cette phrase sur les lèvres, qui m’a fait rire : « Quand vous lasserez-vous enfin d’être minables ? » C’est une maladie contemporaine d’avoir si peu de vue haute. Or nous pouvons avoir un but. Nous chuterons, traverserons des passages où nous ne serons pas fiers ni de soi ni de l’autre. Ce n’est pas une raison de ne pas tenter l’aventure parce qu’elle est difficile. C’est passionnant, au contraire.

N’est pas libre, dites-vous, celui qui refuse de s’engager. Comment sauver sa liberté dans une vie de couple ?

CS : C’est ce qui me plaît dans la modernité, car il y a des aspects extraordinaires aussi. Les gens ne s’accomodent plus de l’inauthentique. Nous ne nous accommodons plus des mariages hypocrites que les générations passées acceptaient comme un devoir social. Nous ne voulons plus rester ensemble sans amour. C’est magnifique, seulement cela demande une hygiène morale et mentale et une conniassance des lois de fonctionnement de la psyché et du vivant. Nous pouvons alors vivre dans la liberté. Il y a quelques mois, mon mari m’a dit en riant : « Je suis plus libre avec toi que je ne le serais seul… » Nous sommes plus libres ensemble que seuls. Il y a un secret plein d’humour et de tendresse, là-derrière. Nous atteignons une incroyable liberté en ayant accepté l’autre dans son être.

Cela passe parfois par des crises. D’autres amitiés intenses viennent s’ajouter… 

CS : On ne peut pas repousser et rejeter ces rencontres qui nous permettent parfois d’advenir. Il faut respecter le niveau de tolérance de l’un et de l’autre. Mais nous devons laisser à l’autre cet espace où il va développer son être véritable. Etre ensemble, c’est être le gardien de la liberté de l’autre. Si je ne lui accorde pas la liberté dont j’ai besoin moi-même, ce ne sera jamais une relation d’adultes, mais une relation de dépendance perpétuée. Il faut laisser de l’espace, pour que le vent puisse souffler entre nous. Qu’il y ait de la respiration entre les êtres, c’est important.

La foi est-elle une aide dans la réussite d’un couple ?

CS : Enorme. L’amour est quelque chose d’incroyable. A un moment dans notre vie, nous avons vu celui que nous avons aimé comme Dieu l’avait rêvé. C’est cela le fait de tomber en amour. Subitement, il se passe quelque chose que les autres ne partagent pas. Ils ne comprennent pas pourquoi cette personne nous a bouleversés. Cet être de lumière qui nous habite et qui est voilé au cours de notre existence, eh bien, dans l’amour, un moment, je l’ai vu. J’ai vu dans l’autre la splendeur, cet aspect accompli de son être. La fidélité à cela sera l’essence de notre cheminement ensemble. J’adore ce mot de Tolstoï : « Aimer, c’est voir l’autre comme Dieu l’avait voulu. » C’est une expérience profondément religieuse. Je sais que j’ai vu cet être. Les moments où il m’a déçue, les moments où moi je l’ai déçu n’ont pas empêché cette fidélité fondamentale. En veillissant, nous devenons tellement vrais et plus authentiques. D’avoir un témoin toute une vie, quelle merveille ! Quel cadeau !

Quelle recommendation donnez-vous à un jeune couple ?

CS : De ne jamais oublier ce qu’ils ont entrevu dans l’autre, un moment, de plus haut. Là, ils ont vu la vérité, même si ensuite ils ont l’impression de la perdre de vue. C’est cela aussi la religion. Un moment, nous avons été si près d’une expérience incroyable de vie ou de proximité intense avec notre Créateur. Si nous gardons intensément la mémoire de ce qui a été le plus haut, nous pouvons traverser les déserts. Cels nous donne une immense confiance dans tous les moments où nous aurons l’impression de nous être trompés.

Christiane Singer
in « Eloge du mariage, de l’engagement et autres folies« .
Interview parue dans
« Bonne nouvelle« , le mensuel de l’Eglise protestante vaudoise,
no 1 – février 2006

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