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NON COUPABLE

Non coupable
Dire la vérité au pouvoir
Betty Krawczyk

Née et élevée dans les bayous du sud de la Louisiane, Betty Krawczyk est mère de huit enfants, d’autant de petits-enfants et d’un arrière-petit-enfant. Elle a passé toute sa vie à s’occuper de questions sociales, en commençant par la lutte pour les droits civiques dans son pays d’origine, et elle a été cofondatrice de l’un des premiers centres de femmes au Canada.

Le 25 janvier 2001, « Grand-mère K », Betty Krawczyk, a été libérée après avoir été condamnée à quatre mois de prison, pour avoir bloqué les routes forestières dans la vallée d’Elaho au Canada. Son juge de première instance a justifié sa longue peine par son mépris criminel. Les juges Donald et McKenzie, de Vancouver, ont annulé la sentence.

Ce qui suit sont des extraits de la transcription de l’audience initiale de détermination de la peine. Krawczyk répond à une interpellation du juge, qui lui a demandé d’expliquer pourquoi elle avait bloqué une route et pourquoi elle ne respectait pas la loi.

“… J’entends si souvent des amis et des gens qui m’aiment, ‘Pourquoi fais-tu cela ? Ce n’est pas approprié, ce n’est pas nécessaire. Laisse les choses se dérouler comme elles le voudront », mais si tout le monde agissait de la sorte, la société n’évoluerait jamais. Nous n’irions nulle part, jamais. Je connais la différence entre anarchie et responsabilité, et le seul moyen de changer les choses, c’est par la responsabilité et la volonté d’assumer les conséquences des actes commis lorsque l’on essaie de changer les choses. C’est juste que j’ai été touchée, parce que ma petite-fille a dit: «Grand-mère, pourquoi ne laisse-tu pas ces arbres et ne viens-tu pas jouer avec moi?» Elle ne le comprend pas non plus.

À propos de la peine, en particulier de ma propre peine. Monsieur, je peux seulement dire que je suis responsable de mes propres actions. Le diable ne m’a pas fait bloquer les camions de bûcheronnage d’Interfor, et Dieu ne me l’a pas fait faire non plus. PATH [Action populaire contre les habitats menacés], FAN [Réseau d’action forestière] ou les Amis de l’Elaho non plus. C’est moi qui me suis dit de le faire.

À mon avis, ma tentative d’essayer d’empêcher la destruction rapide par Interfor de la vallée d’Elaho en me tenant devant les camions d’exploitation forestière n’était pas une chose diabolique, criminelle ou folle. Dans ma vision des choses, c’était LA chose éminemment saine à faire. Je pense qu’il est fou et insensé de rester silencieux pendant que nos systèmes collectifs d’aide à la vie sont en train d’être détruits.

Je ne regrette pas le moins du monde mes actions. Et quand je suis en prison, je me considère comme une prisonnière politique et j’agis en conséquence. Mais, en réalité, la seule liberté réelle que l’on trouve réellement réside dans les limites de son esprit et de sa conscience. Cela paraît banal, je le sais, mais ce genre de liberté ne peut vraiment pas être emprisonné.

«Vous pouvez me mettre en prison, monsieur, mais je ne serai pas votre prisonnière. Je ne serai pas la prisonnière d’Interfor, ni la prisonnière du Procureur général, ni de ses gentils shérifs adjoints, ni la prisonnière du BCCW [Centre correctionnel pour femmes de Burnaby]. Je ne suis qu’une prisonnière de ma propre conscience, monsieur, et cela fait de moi une femme libre, une personne libre.

Et, en tant que personne libre, je refuse toute sorte de collusion avec ce tribunal concernant une éventuelle détention à domicile ou une surveillance électronique dans le cadre de ma peine. Je ne participerai jamais à ma propre peine de manière à me contraindre à internaliser la prison, à internaliser la détention, à internaliser la culpabilité, à internaliser le pouvoir d’Interfor et le bureau du Procureur général de me punir pour avoir tenté de protéger des biens publics, biens que chaque citoyen a le droit, non seulement un droit mais aussi un devoir, de protéger, d’en jouir et de les aimer.

«En outre, monsieur, je n’accepterai aucun type de service communautaire dans le cadre d’une punition. J’ai fait plus que ma part de service communautaire au cours de ma vie. Je l’ai fait librement et par amour, et je vais ne vais pas me le faire imposer à titre de punition. Je vais aussi résister à payer une amende, même petite. Payer une amende, du moins pour moi, reviendrait à admettre sa culpabilité. Cela impliquerait que mes actions à Elaho étaient nuisibles et antisociales et qu’il faudrait les expier. Et encore une fois si je paye l’amende, aussi petite soit-elle, je devrais intérioriser un sentiment de culpabilité que je ne ressens pas.

«Il y a eu des actions dans ma vie que je regrette vraiment et pour lesquels je me sens vraiment navrée, mais essayer de protéger l’ancienne forêt d’Elaho n’en fait pas partie. J’aime le Elaho. J’aime toutes les forêts anciennes de la Colombie-Britannique. Se battre pour préserver ce que l’on aime, c’est agir en harmonie avec soi-même et avec la nature.

Alors, monsieur, je refuse tout ce qui pourrait diluer les raisons de ma présence ici, de ma tentative d’arrêter l’exploitation forestière d’Elaho. Je refuse les amendes, le service communautaire et la culpabilité intériorisée d’une complaisance honteuse et scandaleuse. Vous devez m’enfermer, monsieur, ou me laisser partir. Je vous remercie. »

Extrait de
«Soulèvement mondial, affronter les tyrannies du 21e siècle. Histoires d’une nouvelle génération d’activistes »
par Neva Welton et Linda Wolf
Ed. NSP, 2001


 

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