Et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
Que je n’entende ni les rires, ni les cris, les yeux fixés sur cette ville que je prophétise belle
Donnez-moi la foi sauvage du sorcier
Donnez à mes mains puissance de modeler
Donnez à mon âme la trempe de l’épée
Je ne me dérobe point
Faites de ma tête une proue et de moi-même, mon coeur, ne faites ni un père, ni un frère, ni un fils
mais le père, mais le frère, mais le fils
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple
Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
Comme le poing à l’allongée du bras !
Faites-moi commissaire de son sang
Faites-moi dépositaire de son ressentiment
Faites de moi un homme de terminaison
Faites de moi un homme d’initiation
Faites de moi un homme de recueillement mais faites aussi de moi un homme d’encensement
Faites de moi l’exécuteur de ces oeuvres hautes
Voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme
Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine…
Aimé Césaire
Cahier d’un retour au pays natal, 1939
Crédits photo :
David Valère in « Un homme debout » d’après Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire
© Christian Pfahl, 2013,Théâtre de la Parfumerie