Jadis, il y eut en Inde un Premier ministre qui possédait cette profonde conviction. Si un parent lui annonçait : « mon fils vient de mourir », il répondait « très bien, Dieu fait tout pour le mieux ». Si une femme lui disait : « mon mari est mort », il répondait : « très bien, Dieu fait tout pour le mieux ».
Passant pour un original, il se fit de nombreux ennemis, dont certains s’acharnèrent à le perdre. Un jour, le Roi s’endormit alors que son barbier était en train de lui tailler les ongles. Par mégarde, le barbier lui fit au doigt une profonde coupure. Les ennemis du Premier ministre virent dans cet incident l’occasion de parvenir à leurs fins.
Ils coururent annoncer la nouvelle :
« – Monsieur le Premier ministre, figurez-vous que le barbier vient de couper le doigt du Roi.
– Très bien, répondit le Premier ministre, Dieu fait tout pour le mieux. »
Alors ils s’empressèrent d’aller rapporter ces paroles au Roi qui convoqua aussitôt le Premier ministre.
« Imbécile ! s’écria-t-il, tu vis à mes crochets, tu me dois tout et tu oses dire que mon doigt coupé est une bénédiction ! ». Puis il ordonna à ses hommes de jeter le Premier ministre en prison et de le mettre à l’eau et au pain sec.
« Ainsi, lui lança-t-il, tu vas pouvoir juger si tout ce que fait Dieux pour le mieux ! ».
Le Premier ministre se mit tranquillement à répéter le Nom du divin au fond de sa cellule. « Tout va bien disait-il aux visiteurs, Dieu a choisi de me placer ici et c’est parfait. »
Quelques jours plus tard, le Roi s’en alla chasser dans la forêt. Il y avait dans la région un groupe de bandits dont le chef, un adorateur de Kali, était précisément à la recherche d’une victime de choix digne d’être offerte en sacrifice à la déesse.
Lorsqu’ils aperçurent le Roi, les bandits le capturèrent et le traînèrent jusqu’au temple de Kali. Ils l’examinèrent sous toutes les coutures car il leur fallait un corps en parfait état. Lorsqu’ils découvrirent le doigt coupé, ils déclarèrent : « Son corps est impur, il n’est pas digne de la déesse », et ils le relâchèrent.
Le Roi réalisa qu’il devait la vie à cette coupure. Se souvenant alors des paroles de son Premier ministre « Dieu fait tout pour le mieux », il dut reconnaître le bien-fondé de cette affirmation.
De retour dans la capitale, il fit libérer le Premier ministre et lui raconta son aventure:
« – Cette coupure fut en effet une véritable bénédiction, mais en ce qui te concerne, je ne vois pas l’intérêt d’avoir été mis au cachot et réduit à manger des croûtons
– Votre Majesté, répondit le Premier ministre, si vous ne m’aviez pas enfermé, je vous aurais accompagné à la chasse et ces bandits m’auraient également capturé. Mon corps étant en parfait état, c’est donc moi qu’ils auraient sacrifié. Oui, vraiment, Dieu fait tout pour le mieux ».