Mystère ou mystique vient du verbe grec muein qui veut dire « se taire », fermer la bouche, les yeux devant ce que le silence seul dit bien. Il y a aussi le sanscrit mus qui renvoie à ce qui est caché secret.
Comme on a pu dire du sage que c’est celui à qui la sagesse manque (l’imbécile, lui ne manque de rien), le mystique c’est celui à qui l’Être manque (le religieux, lui, ne manque pas d’êtres plus ou moins bien déifiés) et en cela n’est-il pas le plus propre de l’homme : un Etant à qui l’Être manque ?
Le Désir du Beau et du Vrai est blessé par de trop vifs contraires pour qu’on n’en vienne pas parfois à désespérer. Rester fidèle malgré tout à ce désir, dans une foi qui n’exclut pas le doute, mais chaque jour apprend à le surmonter, fait de nous des mystiques… Non pas des religieux, encore moins des fanatiques, mais des sceptiques qui ont appris à douter de leurs propres doutes devant l’évidence d’un Réel qui sans cesse leur échappe et les transcende…
Le mystique n’ « a » rien. Ce que son désir indique se refuse à devenir une possession ou un avoir…
Dieu n’a pas de « possédés », seulement des êtres libres qui doutent parfois de leurs capacités à aimer l’Invisible et de leur tendresse pour ces « choses visibles » qui chaque jour un peu plus s’effacent…
C’est sans doute pour cela que le bonheur des mystiques nous touche et nous effraie. C’est un bonheur réel ou plutôt l’essence du bonheur : il n’est fondé sur rien, sur aucune illusion, le Dieu dont ils parlent n’est pas celui de leurs pensées ou de leurs émotions…
Jean Yves Leloup, « L’Absurde et la grâce « , 1993