« Arrêtons avec la résilience : il n’y a pas de honte à se sentir dépassé »
Les crises successives que nous affrontons depuis deux ans, l’atmosphère de violence, d’incertitude peuvent jouer sur notre anxiété. L’occasion pour Baptiste de rappeler qu’il est tout à fait normal d’être anxieux en ce moment, et qu’il ne faut surtout pas culpabiliser à l’idée d’être inquiet.
Depuis le début de la crise je me suis remis à fumer, et à me ronger les ongles. Une bonne occasion de rappeler que les médecins ne sont pas des robots, que nous aussi nous éprouvons des angoisses, que les patients ne sont pas seuls dans leur corps à éprouver les affres de la condition existentielle.
L’anxiété devient pathologique lorsqu’elle trouble, en intensité et dans la durée, la vie du sujet. On la reconnaît car, généralement, dans ce cas-là, des symptômes dits somatiques s’ajoutent aux angoisses : parfois des douleurs ou des oppressions thoraciques, des palpitations, sueurs, tremblements des extrémités, gorge serrée, difficulté à déglutir…
L’anxiété et l’inquiétude envahissent tous les aspects de la vie
Ça m’amène au cœur du message que je veux transmettre ce matin. Le corps est une pâte à modeler malaxée par les épreuves de la vie.
Nous vivons une époque où le mot résilience est mis à toutes les sauces. C’est une véritable épidémie de résilience. Il faut être résiliant. Les patients et les patientes doivent être résilients, plastiques. C’est comme si on vous tordait le bras en vous répétant : « Tu vas aller mieux, oui ? Il faut que tu ailles mieux ! Tu ne peux pas ne pas aller mieux !! » Ben non. Parfois la vie est plus grande que nous, trop traître, trop injuste, donc en vrai, c’est ok si tu n’y arrives pas, à passer au-dessus de ta douleur. Ou si tu n’y arrives plus. Ou si elle t’accompagne doucement, comme un petit chien noir toujours à tes côtés. C’est ok si on ne pardonne pas à la vie, ou si on pardonne, mais moins bien que son voisin.
Il y a un je ne sais quoi d’effrayant dans cette injonction contemporaine permanente à la résilience. Une manière, aussi, de faire accepter l’inacceptable, d’abdiquer, de se résigner, ou pire, de s’anesthésier face aux injustices. On se souvient de la maxime de Nietzsche :
Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort
Oui peut-être. Tant mieux. Mais pour les personnes chez qui ce qui ne les a pas tuées les a rendues plus fragiles ? Plus sensibles ? Plus chancelantes ? Parfois, ce qui a été fait ne peut être défait, c’est comme ça. Sans doute serions-nous moins humains si nous étions résilients pour tout, en tout, tout le temps. Certains guérissent de tout et c’est tant mieux. D’autres ne guérissent pas totalement, et c’est comme ça aussi. Ils se rongent les ongles, se remettent à fumer, s’angoissent pour eux, pour les autres, pour la marche du monde, et se mettent en colère pour un rien.
Il faut continuer, ça oui, mais peut-être aussi, continuer en acceptant que tout n’est pas toujours acceptable.
Baptiste Beaulieu, Médecin
France Inter, Grand bien vous fasse, Alors voilà, 23.05.2022