En image, ce qu’il faut agir (Wei), pour arriver, parfois, rarement, et de manière imprévisible, au vrai non-agir (Wuwei). Dans ses meilleures années, Federer disait qu’il atteignait 4-5x/an (sur 85 à 90 matchs) cette fameuse « zone » où tout se faisait alors tout seul, qu’il décrit lui-même en des termes quasi mystiques.
Regardez sa main, lui qui fut considéré comme le Noureev du tennis, un surdoué qui laisse à peine perler deux gouttes de sueur après deux heures de match. La grâce en action. Regardez sa main et le travail derrière.
Ce principe est valable en sport, en sciences, ou dans n’importe quel art ou artisanat.
Pour quelle raison en serait-il autrement dans le domaine de la conscience ou de la spiritualité ?
Pour aucune.
La confusion vient simplement du fait que nous oublions que certains états de conscience, pour être intégrés pleinement, doivent être exercés sur le long et très long terme, et non pas seulement vécus de manière occasionnelle.
Ces vécus occasionnels, fussent-ils extatiques, sont banals et accessibles à tout le monde, avec un minimum d’effort: chantez des mantras deux heures, buvez du cacao, méditez un week-end, faites du Qigong ou du Yoga de manière un peu soutenue, balladez vous dans la nature, vous vivrez qqch de spécial.
Le seul mystère ici est de comprendre pourquoi certains veulent s’emparer de ces états banals en les nommant « éveil », alors qu’ils sont si aisément accessibles à tout un chacun. Sont-ils transformateurs ? La plupart du temps, pas du tout. Mais pour le dire, encore faut-il être honnête avec soi-même.
Un état de conscience exercé, en revanche, est d’un autre ordre, et provoque parfois un saut qualitatif dans notre rapport au monde qui n’est ni maîtrisable, ni prévisible. Par contre on en connaît les conditions : travail (qui peut aussi être ludique parfois), persévérance, cohérence, passion, résilience et du temps, du temps, et encore du temps.
Notons que parfois, une bonne psychoanalyse soutenue peut produire cet effet qualitatif (dans la limite de son mandat et de son champ d’action) aussi bien, voire mieux, que des semaines de retraite méditative. Jack Kornfield en a très bien parlé dans un de ses livres.
Sans cela, ce que nous appelons spiritualité devient un passe-temps vaguement romantique, qui laisse nos complexes, nos ombres et nos mécanismes de défense bien tranquilles, cachés sous une gentillesse pseudo éveillée plaquée, mais qui ne leurre heureusement bien souvent que ceux pour qui le mot travail, pourtant si noble, est à bannir.
Fabrice Jordan
03.01.2023