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36 HEURES EN ENFER, THE NEW NORMAL


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36 heures en enfer

18 septembre 2020. San Francisco – Le pont suspendu de Bidwell Bar semblait s’élancer vers les flammes qui se reflétaient dans l’eau, sous un ciel orangé… Quelle scène ! Je couvre les incendies depuis une décennie, et chaque année, les pompiers disent: “c’est sans précédent”.  Mais cette année, cela dépasse déjà tout ce que j’ai connu.. et la saison ne fait que commencer.

J’écris ces lignes après 36 heures non stop de travail, et la promesse de prendre des vacances pour 24 heures, alors que la saison des incendies est loin d’avoir atteint son pic. Trente-six heures face aux éléments déchaînés, dans l’est de la Californie, au pied de la chaîne montagneuse de la Sierra Nevada, puis au nord de San Francisco. Des territoires où se succèdent les parcs nationaux tapissés de forêts millénaires, où l’on trouve de joyeuses cascades et de majestueuses falaises de granit.

Certains de ces paysages et la vie qu’ils abritent ont désormais été annihilés par d’immenses incendies qui ont fait ployer les pins, emplissant le ciel d’une lueur rouge, et rendant périlleux le travail des hélicoptères qui tentaient d’évacuer les habitants. Tout avait commencé par un été hors norme, marqué par une vague de chaleur historique en Californie. Jusqu’à 43°C au nord de San Francisco, et 47°C (117° F) à Los Angeles ! Je me souviens d’une nuit à San Francisco, où la température ne descendait pas sous la barre des 36 °C. Juste après, de forts vents ont balayé la région.

En août déjà le travail n’a pas manqué. J’ai donc commencé cette couverture de 36 heures par un incendie au sud-est de San Francisco à environ cinq heures de route, non loin de Shaver Lake, un coin connu pour son lac. Le 7 septembre à 17h00, le “Creek Fire” — ici chaque incendie a son nom propre, avec une majuscule — avait déjà parcouru 2.000 hectares, déjà 2.000 terrains de football. Une heure plus tard, la surface était multipliée par sept et le soir, à 23h00, près de 40.000 ! En découvrant les chiffres, je me disais,  “mais ce n’est pas possible, cela doit être une erreur” ! Je n’avais jamais vu une telle vitesse de propagation.

Comme en Australie fin 2019, la fumée des incendies déjà actifs a entraîné la formation d’un pyrocumulonimbus: un grand panache de fumée qui en s’élevant dans le ciel interagit avec l’humidité pour former un nuage et qui finit par libérer éclairs et foudre, sources d’autres départs de feu. Ils peuvent s’accompagner de vents très violents et créer de véritables “tornades de feu”.

Dans cette région, il y a des arbres gigantesques, les fameux séquoias, parmi les plus anciennes formes de vie sur terre, certains pouvant atteindre 3.500 ans. J’en ai vu un de 90 mètres de haut, presque un tiers de la Tour Eiffel. Et quand un arbre si grand prend feu, les flammes peuvent atteindre le double en hauteur.  Cela donnait l’impression d’une bombe atomique qui explose. C’était très effrayant.

On se sent d’autant plus vulnérable que les soldats du feu sont cette année désarmés face à l’ampleur du phénomène, éparpillés sur des dizaines d’incendies et affaiblis par le coronavirus qui a réduit les effectifs de pompiers volontaires issus des prisons, où le Covid s’est aussi répandu comme une trainée de poudre. Finalement il y avait donc trop de feux et trop peu de pompiers.

Après avoir photographié Creek Fire, me voilà parti pour Berry Creek, non loin de Lake Oroville, au nord de San Francisco, sans avoir dormi: un autre incendie spectaculaire, « Bear Fire » au pied d’un autre parc national, m’attendait. Là encore les flammes s’élevaient au-dessus d’arbres de plus de 40 mètres, virevoltant de cime en cime.

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La couverture de ce genre d’incendie ne s’improvise pas. J’ai suivi une formation spéciale avec les équipes de pompiers de l’Etat de Californie et je ne travaille jamais sans protection. Sur place des dizaines d’habitants, de pompiers, de journalistes, ont été blessés. Le bilan dépasse désormais la dizaine de morts. La bucolique bourgade de Berry Creek a été détruite: plus d’école, plus de caserne de pompiers, des centaines d’habitations parties en fumée.

L’incendie de Berry Creek couvait depuis quelques semaines après un autre événement climatique complètement inhabituel le 17 août dans la baie de San Francisco. Un orage sec avec plus de 2.500 impacts de foudre en une seule nuit ! Il a aussi provoqué des centaines de départs de feu. La puissance endiablée du vent a transformé l’incendie en un monstre.

Plus d’un million d’hectares détruits en Californie, l’équivalent de Paris et sa région ou du New Jersey

 

La surface détruite par les flammes en Californie dépasse désormais le million d’hectares et c’est sans compter les feux qui ont dévasté aussi l’Etat de Washington, ou l’Oregon où ils ont entraîné l’évacuation d’un demi-million de personnes. Un million d’hectares, c’est l’équivalent d’un pays de la taille d’un pays comme Chypre, de Paris et la région qui l’entoure ou encore de l’Etat américain du New Jersey.

A chaque fois que je pars couvrir un incendie, ma femme me fait promettre que je ne prendrais pas de risques inutiles, non calculés. Avant d’y aller, je m’assure que j’ai une échappatoire. Il peut être très tentant de se précipiter quand on voit de grandes flammes. Mais il est aussi très facile d’être piégé car le feu se déplace à vive allure.

Couvrir les catastrophes naturelles, en particulier le feu, mais aussi les ouragans ou les éruptions volcaniques est ma passion. La puissance de ce genre d’événement, liés au climat, m’emplit d’humilité.

Désormais, j’aimerais aller au-delà. Je souhaite que mes images, comme celle partagée sur Twitter par le président Donald Trump,  ou encore par l’ancienne cheffe de la diplomatie américaine  Hillary Clinton, puissent avoir un impact concret, positif.

J’y réfléchis encore, peut-être vais-je en faire des tirages papier et reverser les bénéfices de la vente à  100% à des fonds aux victimes ou à une association de lutte contre les incendies.

Il y a deux ans j’avais malheureusement déjà constaté sur ce blog que les feux géants n’étaient plus une exception, mais sans doute le début d’un phénomène récurrent… “The new normal”, la nouvelle normalité.

Josh Edelson, photographe indépendant basé à San Francisco


publication originale : https://making-of.afp.com/36-heures-en-enfer, 18.09.2020

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