L'ARBRE À PALABRES, Sagesse & beauté, Santé & psycho

IL N’Y A RIEN À PARDONNER


Entretien avec Eric Baret

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« Ne t’empare de rien, ne rejette rien,
bien établi en toi-même, reste ainsi »
Abhinavagupta : Tantra Loka

 

Q . Quand arrive-t-on à pardonner totalement ?

Quand vous acceptez profondément la vie, il n’y a rien à pardonner, parce que vous voyez les événements arriver selon leur propre loi. Il n’y a pas d’événements indépendants dans le cosmos, pas d’auteurs des actes, pas de responsabilité ; donc personne à pardonner, parce qu’il n’y a personne. Etre une entité indépendante est une mémoire, tout ce qui vous arrive est lié à l’ensemble. Tout ce qui arrive à votre corps fait partie des lois cosmiques, il n’y a rien de séparé. Pardonner ou reprocher vous quitte complètement.

Ce qui vous est apparu comme difficile, inacceptable, va vous apparaître tôt ou tard comme la chance de votre vie, l’instant le plus iimportant. Ce qui vous a le plus transformé, ce qui vous fait comprendre votre identification et les limitations dans votre vie : ce sont les drames. Dans la mesure où on les laisse complètement vivre, ils pointent vers la liberté, vers la joie, contrairement aux séances de méditations intentionnelles, qui ne sont souvent qu’une fuite.

Quand un drame vous arrive et que, dans un regard libre, vous laissez le choc vibrer en vous, cela s’apparente plus à un cadeau que vous recevez. Il faut le laisser vivre en vous. Parfois, vous n’avez pas la maturité pour le vivre, c’est très vrai, mais à un moment donné, il faut se réjouir et aimer les cadeaux que l’on a reçus, et laisser viv’re toutes ces mémoires qui constituent la corporalité.

La situation que vous voulez pardonner ou non s’est fixée quelque part dans le corps. Allongez-vous et aimez cette région qui a été négligée, ajournée, évitée depuis si longtemps. Laissez la région s’exprimer, sans condamner, ni juger. Restez devant les faits. Ces régions ont beaucoup de choses à vous raconter. Un très grand cri de joie va libérer de votre crops, alors vous regarderez la situation pour vous apercevoir que la prétendue cause du drame n’était pas la cause. Il n’y a plus de cause.

Q . Comment faire alors pour pardonner ?

Vous verrez : il n’y a rien à pardonner. Mais être une personne est incompatible avec le pardon. Une personne ne peut pas pardonner, parce qu’une personne ne vit que par la mémoire. Elle a besoin d’un passé, d’un futur. Une personne peut faire semblant de pardonner pour certaines raisons stratégiques. Une personne peut croire avoir pardonné, accepté et s’apercevoir, quelques années après, que rien n’est pardonné. Tout pardon va venir du coeur.

Voyez les faits. Ressentez corporellement ce qu’il y aurait à pardonner. Sentez les éléments en vous, et voyez comment cela se passe. Apprenez à aimer votre structure, à aimer les traumatismes. Si vous ne voulez plus y penser, vous y penserez quand même. En un seul instant faire face sans référence à votre vie, à votre passé, à tous vos antagonismes. Laissez-vous visiter par tout ce qui a été appréhendé comme des drames; vous verrez, après, que ce n’était pas des drames.

Il faut s’habituer à aimer sa sensorialité, c’est le premier pas, sinon on ne peut rien faire. Tant que vous voulez vous libérer d’une tension, vous vivez dans les couches superficielles. Tant que l’on veut se relâcher, se détendre, on reste dans la psychologie. Aimez votre structure, non pas d’une manière narcissique mais pour voir ce qui est là. Votre corps est la seule chose que vous pourrez vraiment ressentir. Tout votre environnement, tout ce que vous prétendez connaître du monde, c’est votre corps qui vous le dit. Vous l’avez vu, léché, entendu, senti. Ensuite vous mettez un nom, et vous dites c’est un enfant, un amant, un arbre, cela se passe en Chine, au Vietnam. Ce sont des concepts. L’expérience directe, c’est uniquement notre corps. Donc, avant de chercher ce qu’il y a ou non à pardonner au monde – ce prétendu extérieur – votre structure doit être pacifiée par l’écoute.

Mettez-vous journellement à la disposition de votre corps, laissez-le vous raconter son histoire, ses secrets.

Extrait d’un entretien réalisé à Outremont, Québec, 1996
Eric Baret, in « Le Sacre du Dragon Vert« , Ed. JC Lattès


 

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