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PUNK PARENTING : PARENTALITÉ, ANARCHISME, ÉCOLOGIE

Publié par Daliborka Milovanovic le

Quel rapport entre la culture punk et la parentalité, vous demandez-vous peut-être à la lecture de ce titre. Quand on entend le mot « punk », on pense aux crêtes, aux grosses chaussures de sécurité, aux jupes à carreaux, à Vivienne Westwood, aux Sex Pistols ou aux Bérurier Noir. La prééminence des expressions esthétiques et artistiques de la culture punk dans l’imaginaire collectif nous fait oublier que ce qui fonde cette (contre-)culture, c’est avant tout une philosophie et une éthique : solidarité, égalitarisme, lutte contre les discriminations, « do it yourself », autogestion, autonomie, anticapitalisme, anticonformisme, anti-autoritarisme ; plusieurs de ces idées et valeurs sont communes à l’écoparentalité. Je vous propose ici d’envisager ce que serait une manière « punk » d’être parent.

Le punk est un mouvement culturel qui apparaît aux États-Unis au milieu des années 1970 dans un contexte de désillusion face aux promesses déçues du mouvement hippie. La «  contreculture » punk, qui se construit dans la contestation de la culture bourgeoise dominante que le mouvement hippie semble avoir à peine égratigné, se caractérise à la fois par une esthétique, une éthique et une praxis, en cohérence avec une idéologie politique et sociale égalitariste, anticapitaliste et anti-autoritariste. Quand on évoque la culture punk, on pense le plus souvent au genre musical, au style vestimentaire ou à une certaine esthétique de la destruction et du chaos. Mais comme c’est souvent le cas pour les mouvements contestataires que l’on réduit à la matérialité de leurs expressions artistiques subversives, tronquées des représentations idéologiques qui les fondent, on néglige le cœur de la culture punk qui est aussi un mouvement positif de construction et de création culturelle.

De la même manière, l’écoparentalite ne se réduit pas à ses apparences, à des « codes » ou des normes de comportement ou de consommation (écharpes de portage, peau de mouton, allaitement, collier d’ambre, lit à cododo, couches lavables, autant d’objets qui n’échappent pas à la standardisation de l’industrie et à la marchandisation) et à sa remise en cause de la puériculture traditionnelle (laquelle peut être en quelque sorte elle-même vue comme bourgeoise) ; elle est avant tout une façon d’être-en-rapport avec soi-même, avec ses semblables et avec tout ce qui vit, qui se fonde sur un ensemble de valeurs et d’engagements éthiques forts.

Les pratiques écoparentales sont cependant très diverses et il n’existe pas de manière canonique de penser et de vivre l’écoparentalite, même si une convergence des horizons peut être mise en exergue. Parmi ces pratiques, certaines semblent plus « radicales » parce qu’elles sont davantage en rupture avec la culture dominante. C’est par exemple le cas des familles qui vivent en unschooling. Les points communs entre les valeurs et les pratiques punks et unschooling sont tels que c’était, pour moi, une occasion idéale de parler de unschooling, sans devoir utiliser ce terme profondément insatisfaisant et frustrant, car il est « scolaro-centré », c’est-à-dire qu’il pose l’école (et la société « scolaire » au sens de Ivan Illich) comme cadre de référence. C’est ainsi qu’est née la notion de « punk parenting » ou de manière punk de vivre sa parentalité.

Contre l’autorité et les normes

La contestation de l’autorité et de la loi est un élément saillant de la philosophie punk qui considère les institutions comme structurellement aliénantes principalement parce qu’elles sont déresponsabilisantes ou parce qu’elles exercent un contrôle sur les individus d’une société. Nous retrouvons, chez les « punk parents », une défiance similaire vis-avis des autorités et des institutions traditionnelles qui œuvrent dans les domaines de la famille et de l’éducation. C’est ainsi le cas, par exemple, de l’hôpital qui n’est plus considéré comme le lieu où une femme doit accoucher. C’est aussi le cas de l’école qui n’est plus considérée comme le lieu ou un enfant doit vivre et apprendre. Les « punk parents » refusent de se conformer aux normes sociales concernant la famille et l’éducation. La conformité est une forme d’aliénation puisqu’elle implique l’adhésion à des formes extérieures « normales » qu’on ne questionne pas. Pour certains, l’injonction sociale, tacite mais inexorable (quoi qu’en disent les slogans publicitaires en manière de « Pensez différemment » ou « Soyez vous-même »), à se conformer aux normes est même une forme de coercition facilitant le contrôle des individus qui doivent être « normalisés » et « standardisés »≫ pour répondre aux impératifs économiques d’une société régie par le modèle industriel de toute production. Se conformer, c’est abandonner son individualité, sa singularité, c’est brider sa créativité et son pouvoir d’agir sur son environnement pour le construire à son image, c’est renoncer à être son propre maître, son propre « législateur », c’est oublier d’être soi et se chercher compulsivement et désespérément dans les modèles inadaptés que d’autres ont construits.

« Penser, est-ce dire non ? » demandait-on a des étudiants en philosophie. Refuser de se conformer, c’est assurément dire « non », « non » au silence de la pensée, à l’adhésion aveugle du corps sans conscience. Ce « non » n’est bien évidemment pas une « capricieuse » opposition aux modèles fournis clé en main par nos parents. C’est, bien plus, un acte d’affirmation de soi par lequel on pose sa propre liberté en questionnant les formes traditionnelles de la parentalité.

Ainsi la parentalité punk apparaît elle aussi comme une « contre-culture ». Elle définit nombre de ses représentations de l’enfance, de la parentalité et de l’éducation, ainsi que les valeurs qui y sont associées, en opposition aux représentations et valeurs d’une culture dominante. C’est pour cette raison que l’on retrouve ce « non » si souvent préfixe aux termes désignant les pratiques rejetées : éducation, parentalité et communication non-violentes, non-scolarisation, un-schooling (ici, « un– » en anglais signifie plutôt « sans » que « non », ce qui indique un positionnement différent de celui de la contradiction), non-médicalisation, anti-âgisme… En réalité, pour bon nombre de « punk parents », un vocable unique pourrait se substituer à tous ceux que nous venons d’énumérer : « non-violence ». La violence est aux racines de notre culture, comme l’a montré, par exemple, Olivier Maurel [1].

La violence dénoncée n’est pas seulement la violence physique, celle que constitue le fait de forcer un enfant à manger ou de rester toute la journée enfermé dans une école, pour une femme, d’accoucher allongée, « les quatre fers en l’air », de donner une fessée, ou d’en recevoir ! Elle est aussi la violence symbolique : celle des obstétriciens qui, par leur « art » d’intervenir, signifient aux femmes qu’elles ne sont pas capables d’enfanter ; celle des enseignants qui signifient aux parents qu’ils ne sont pas capables d’instruire leurs enfants et à ceux-ci qu’ils ne sont pas capables d’apprendre par eux-mêmes, avec les autres et dans leur environnement « naturel » ; celle de tous ces « experts » qui prétendent savoir mieux que les parents eux-mêmes qui sont et de quoi ont besoin leurs enfants. Les « punk parents » se considèrent comme les experts d’eux-mêmes et considèrent que leurs enfants sont aussi experts d’eux-mêmes. Cela ne signifie pas qu’ils ne reconnaissent pas la supériorité d’un savoir ou d’un savoir-faire chez une personne et qu’ils n’auront jamais recours à des « maîtres » (au sens de « personnes qui maîtrisent un savoir ou un savoir-faire »). Cela signifie simplement que, pour jouer avec l’étymologie du mot « autorité », ils sont les seuls auteurs de leur existence.

Anarchisme et égalité

De l’anti-autoritarisme et de l’anticonformisme découle logiquement l’anarchisme, à savoir, le refus de se laisser gouverner par une instance extérieure. L’anarchisme n’implique pas seulement de refuser une gouvernance exogène pour soi ; elle implique aussi qu’on refuse toute forme de gouvernance de son enfant et, partant, que l’on remette en cause sa position d’adulte dominant et toute forme de discrimination liée à l’âge. En fait, toute discrimination, qu’elle soit liée au genre, à l’âge, à l’orientation sexuelle, à l’espèce, etc., justifie une forme de domination et, donc, de violence. Les punks l’avaient eux aussi bien compris. L’anarchisme et le rejet de toute forme de domination, des uns sur les autres, des adultes sur les enfants, des hommes sur les femmes, des humains sur les non-humains, sur la nature, sur le vivant impliquent, ipso facto, une organisation sociale égalitariste – et pas du tout, comme on le pense parfois, le chaos et l’égoïsme. Car il ne faudrait pas confondre l’égoïsme et la préoccupation de soi qui implique nécessairement le souci de l’autre. Nous sommes, tous sur Terre, des êtres interdépendants. Prendre soin de soi implique de prendre soin de sa relation à autrui, au monde, et donc de prendre soin directement d’autrui et du monde. Aucun individu, aucun besoin ne prévaut sur les autres ; ils prévalent ensemble. Ce qui signifie que l’on recherche des solutions qui permettent de satisfaire les besoins de chacun dans le même temps, et pas au détriment des uns ou des autres. L’intérêt de la communauté, de la famille n’a pas de sens en dehors de l’intérêt de chacun de ses membres. À la traditionnelle formule « Ma liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. », nous préférons la suivante : « Ma liberté ne s’arrête pas à celle d’autrui ; elle l’englobe, l’implique, la sous-tend ».

Ainsi, rien n’est sacrifié au nom de la liberté individuelle, sauf peut-être la loi quand elle est inique et, du reste, énoncée par ceux qu’elle ne concernera même pas. En effet, le positionnement anarchiste justifie que, parfois, pour faire valoir leurs droits élémentaires, comme celui d’instruire librement leurs enfants, des « punk parents » aient recours à la désobéissance civile.

Autonomie et écologie

Un autre des traits saillants de la culture punk et du punk parenting est le modèle d’autogestion et du « do it yourself » qui procèdent de l’anti-autoritarisme et de l’anarchisme. Car si un ordre est contesté, c’est pour en créer un autre. Et comme ils ne peuvent pas compter sur l’État ou sur des institutions pour organiser la société, punks et « punk parents » s’auto-organisent. Le « do it yourself » propre au punk est foncièrement politique. Il signifie le rejet d’une organisation politique fondée sur le gouvernement des individus et de la société « par le haut », par une instance « hors-sol »trop éloignée des besoins et désirs des gens pour y répondre adéquatement. Cette prise de pouvoir personnelle est une réponse à l’échec de l’État à proposer aux citoyens des conditions d’existence satisfaisantes. Mais elle exprime également le dégoût généré par la société de consommation qui nous incite à accumuler toujours plus d’objets « dont on n’a pas besoin, payés avec de l’argent qu’on n’a pas, pour impressionner des gens qui s’en moquent [2] » ; corollairement, punks et « punk parents » partagent une certaine aversion pour le système capitaliste, qui accorde plus de valeur au capital qu’au travail. Enfin et surtout, cette prise de pouvoir est l’expression du besoin d’autonomie et de liberté de chacun. Ainsi, plutôt que d’utiliser des structures et des objets préexistants, les « punk parents » vont créer leurs propres objets et structures (de la même manière que, par exemple, les groupes de rock punk comme les Bérurier Noir ont organisé eux-mêmes leurs tournées de concerts, leur diffusion, ou que des amateurs ont créé une presse indépendante souterraine, notamment les fanzines, pour diffuser leurs idées). Ou peut-être, ils ne créeront rien… parce qu’on n’a pas toujours besoin d’un objet ou d’une structure particulière pour vivre sa parentalité. En effet, pour nourrir son enfant, sauf cas rares, pas besoin de biberon, de lait en poudre, de petits pots, ni de mixeur, ni même de cuiller ! Pour le transporter, pas besoin de poussette, ni même, à vrai dire, d’écharpe (certains « punk parents » portent « à bras » sans aucune difficulté). Pour s’en occuper, pas besoin de nounou : Papa ou Maman ou des membres du réseau qu’ils ont créé, sont là ! Pour l’instruire, pas besoin d’école. Les « punk parents » sont maîtres dans l’art de créer des réseaux d’échanges et de soutien. Ils font indubitablement partie de ceux qu’on a appelés « les créatifs culturels » parce qu’ils construisent des modes de vie alternatifs, des modes de vie à l’image de leur philosophie anarcho-égalitariste (je précise car il existe des philosophies égalitaristes qui ne sont pas fondées sur l’anarchisme), c’est-à-dire des modes de vie solidaires, résilients, respectueux de leur environnement ; des modes de vie écologiques voire écosophiques [3]. Mais ce sont aussi des modes de vie souvent « parallèles », voire « underground » car parfois, il faut cacher certaines pratiques qui demeurent très critiquées voire illicites, comme, par exemple, le sommeil partagé, l’allaitement non-raccourci, très mal vus par les psys et les assistantes sociales, ou encore les apprentissages autonomes et autogérés des enfants, quasi interdits par la loi en France qui impose un ordre et une progression de savoirs et de compétences déterminés ; et tout principe éducatif ou a-éducatif qui choque la pensée dominante.

Pour terminer, rappelons que le mot « punk » vient de l’argot cockney des Londoniens issus de la classe ouvrière et signifie « pourri » (tel le bois sec qu’on utilise pour allumer le feu), « sale », « inférieur » ou « mauvais » et désigne, par extension, toute chose qui n’a pas de valeur. Les idées d’infériorité, de saleté et de moindre valeur ou de non-valeur, notamment marchande, peuvent être aisément mais illégitimement associées au punk parenting. La maison, pour accoucher, est souvent considérée comme un lieu « sale », comparée à l’asepsie du milieu hospitalier ; la question de la gestion des « déchets » et des fluides organiques se pose de façon frappante quand on envisage d’accoucher chez soi ; que fait-on du sang, du placenta, de l’urine et des excréments ? À l’hôpital, a contrario, la naissance sera « propre » ; on rase les pubis, on élimine discrètement les excréments (pour préserver le conjoint ?), on s’empresse de fermer le sac poubelle contenant le placenta, on présente aux parents un nouveau-né rapidement nettoyé de son vernix et du sang maternel. Par ailleurs, accoucher à la maison est considéré comme un choix inférieur, rétrograde, qui refuse le progrès (toutes ces femmes qui mouraient en couches tout de même [4] !). Quant à l’allaitement, il est encore trop souvent associé à la pauvreté, alors que ce sont précisément les femmes des classes populaires et pauvres qui allaitent le moins en France parce qu’elles ont tendance à se conformer à la représentation bourgeoise de la femme libre. De plus, le lait humain est un autre de ces fluides organiques liés à la vie sexuelle des femmes qui suscitent le dégoût chez nombre de personnes. Et que dire de sa (non-)valeur marchande ! La « punk mamma », elle, est particulièrement fière de ses fonctions biologiques qui lui permettent de materner librement ; elle et son bébé n’ont pas besoin d’objets, ils n’ont besoin que de liens humains bienveillants.

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1 La Violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines, Éditions L’Instant Présent (2012).

2 Allusion à une phrase du film Fight Club de David Fincher (1999) : « We buy things we don’t need, with money we don’t have, to impress people we don’t like ». Ici, il s’agit d’impressionner les gens « qu’on n’aime pas ».

3 Concept forgé par le philosophe norvégien Arne Næss en 1960 qui critique la perspective anthropocentriste

4 Comme l’explique Michel Odent en divers endroits de sa production littéraire, les humains interviennent lors de l’accouchement depuis bien plus longtemps que l’avènement de l’obstétrique moderne. Or c’est précisément l’interventionnisme inapproprié qui est le plus mortifère. L’expression abdominale, par exemple, est une pratique très ancienne mais ce n’est que ces dernières décennies que nous sommes parvenus à montrer à quel point elle était nocive.


 

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