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DE GAZA…


Je sors de la bande de Gaza…
… et je viens de vivre l’un des très, très mauvais moments de ma vie.

Deux amis, habitants de cette ville, ont voulu m’accompagner jusqu’au poste frontière avec Israël, le check-point d’Erez où nous sommes arrivés au début de la nuit.
Des kilomètres de triples rouleaux de barbelés dans tous les sens qui vous poursuivent le long des 500 mètres de no man’s land qui séparent les deux camps, des murs d’enceinte de 4 mètres qui protègent les bâtiments israéliens surmontés de piques métalliques, des miradors et des soldats qui vous interpellent par hauts-parleurs…
Au-delà de tout cela, ce qui a été le plus dur, c’est l’effondrement contenu mais tellement profond de ces deux amis qui, depuis de longues années n’ont pas pu franchir cette frontière, n’ont pas pu sortir de la bande de souffrance de Gaza. Cette bande de terrain qui ne fait que quelques kilomètres de long pour un million quatre cent mille habitants, la plus forte densité du monde. Ils vivent dans ce camp sans aucun espoir de pouvoir s’évader. Et là, alors que ma nationalité et mon passeport en poche me permettaient comme chaque fois de sortir et de retrouver le monde libre, eux réalisaient avec encore plus d’acuité et de détresse que d’habitude, l’absurdité terrifiante de leur existence et de cette abominable injustice.

C’est peut-être la conscience de mon impuissance absolue dans cette situation qui m’a fait ressentir au plus profond de moi, et comme jamais, cette souffrance et cette humiliation. Ce que vivent aujourd’hui tous ces hommes, tous les Palestiniens, n’est pas digne de l’Homme, ni de l’Humanité.
J’ai souvent vu à ce poste frontière les quelques milliers d’hommes qui ont l’exceptionnelle autorisation d’aller en Israël, ayant eu la  » chance!  » d’avoir été embauchés, être traités comme du bétail. Pour sortir ou entrer d’Erez, ils doivent circuler à plusieurs de front entre de longs couloirs étroits de barrières métalliques, poussés et bousculés comme des animaux, subissant les cris et les brimades des militaires qui les encadrent.

Comment, a-t-on pu en arriver là ?

Ils arrivent à la frontière, plusieurs heures avant de pouvoir passer, dans un sens comme dans l’autre. D’ailleurs, certaines fois ils ne passent pas…
Ils ne sont pas regardés comme des êtres humains, ils ne sont même pas ignorés, .ils sont rejetés, ils n’existent pas en tant que  » personne » ; je ne sais pas en quoi d’ailleurs ils existent. Ils sont  » subis « . Ils sont presque tous perçus comme des terroristes actifs ou en puissance car beaucoup de ces soldats si jeunes parfois et si démunis, qui ont la charge de cette surveillance, ont, je crois dans les yeux les images sanglantes et atroces des attentats provoqués par les kamikazes.
Quelle est grande cette souffrance qu’eux aussi transpirent si fort, au point de perdre toute fraternité, toute humanité! .
Ils ne voient plus que des terroristes kamikazes, ils ne voient plus les travailleurs, ces pères et ces grands-pères, tous ces hommes jeunes et moins jeunes qui n’ont qu’une seule obsession, travailler même pour presque rien, pour nourrir leurs enfants, leurs familles. Pour ce résultat, ils se lèvent la nuit, ils rentrent chez eux la nuit, ils subissent chaque jour des dizaines d’humiliations et de rejets, ils attendent des heures et des heures… Pourquoi?
Pour rien, pour être écrasés, pour ne plus rien revendiquer, si possible pour ne plus exister.
Cette situation, j’en suis témoin chaque jour, non seulement à Gaza, mais partout en Israël, dans les territoires occupés, la Cisjordanie, à chaque barrage, pour entrer et sortir de Bethléem, de Ramallah… Partout.
Partout le même rejet, la même violence, la même peur qui génère ces excès.
Alors que depuis 10 ans, je me révolte face à tout ceci et tout ce qui n’est pas décrit ici, jamais je n’avais pris conscience si profondément de l’horreur des situations vécues dans tout Israël.
Mais aujourd’hui, cet évènement et ce ressenti à la frontière d’Erez ont fonctionné comme un trop plein de toutes mes révoltes et de tout ce que j’avais accumulé au cours de ces années. Ce sont mes tripes qui ont tout reçu, ce sont mes tripes qui ont pris le relais d’une conscience sans doute limitée par l’affect ou l’habitude.
Aujourd’hui, par ce ressenti, j’ai pris conscience que « je savais » et que cette conscience du  » savoir  » me rendait responsable. Responsable de témoigner et d’agir. Responsable de ne plus être complice de fait. J’ai perçu très fort que toutes les actions, tous les témoignages de vérité serviraient la conscience collective et j’ai su que transformer la situation était possible, que ce n’est pas l’affaire de quelques hommes politiques ou religieux seuls, que ce n’est pas et surtout pas l’affaire des financiers, que c’est l’affaire de tous, de chacun d’entre nous.
Individuellement et ensemble et il y a  » extrême urgence « . Aujourd’hui nous sommes arrivés au moment de vérité: ou tout avance, ou tout bascule.
Eux, ils n’en peuvent plus. Eux, ce sont les palestiniens mais ce sont aussi ces soldats israéliens qui, la peur au ventre subissent et exécutent les ordres. Ce sont les mères israéliennes qui vivent dans l’angoisse permanente du bus qui va sauter et dans lequel se trouve peut-être leur enfant, de la bombe qui explosera peut-être dans le marché qu’elles doivent pourtant fréquenter, de leur mari qui ne rentrera peut-être pas…

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Il n’y a pas d’échelle de valeur pour la souffrance, elle est vraiment aussi terrible pour tous.
Il faut absolument sortir de la situation actuelle, impasse absolue.
Pour y parvenir, ces deux peuples ont besoin de notre prise de conscience, de notre énergie, de notre fraternité.
Nous sommes les seuls à pouvoir les aider, à pouvoir organiser ces rencontres au cours desquelles, chaque fois, ils perdent leur peur, ils dialoguent enfin, ils s’écoutent vraiment, ils cessent de ne considérer que le passé. Ils peuvent alors voir  » devant » et envisager de construire cet avenir que la très grande majorité des deux populations souhaite commun.
Après tant d’années d’action, je veux témoigner de l’incroyable force de la rencontre et du dialogue. J’aimerais vous convaincre de partager avec nous l’objectif de multiplier les rencontres telles que nous le faisons actuellement sur place, elles sont bouleversantes de fécondité.
Je vous redis mon amitié.

Alain

Alain MICHEL
Pour Fondation Hommes de Parole
Genève-Suisse
www.hommesdeparole.org


 

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