L'ARBRE À PALABRES Santé & psycho

PORTRAIT CHIMIQUE DU CERVEAU AMOUREUX


Qu’est-ce que l’amour ? Une émotion, un sentiment… Intouchable, intangible, volatile. Pourtant, il déclenche un milliard de petits séismes chimiques qui font suite à l’activation de certaines zones dans notre cerveau…. On vous explique les raisons biologiques de cet attachement irraisonné.

Le Baiser, 1905•Gustav Klim
Le Baiser, 1905•Gustav Klim

En cette période de Noël, France Culture consacre une semaine aux émotions en tout genre. Et quelle est l’émotion suprême, si ce n’est… l’amour ? Une « constellation de comportements, de cognitions et d’émotions associés au désir de nouer ou maintenir une relation proche avec une personne spécifique. » C’est du moins ainsi qu’il a été défini d’un point de vue psychologique, explique le psychiatre et docteur en psychologie Serge Stoléru dans son essai Un cerveau nommé désir, paru en septembre 2016. Avec, parmi ces constellations, une impression d’énergie décuplée, la « focalisation de l’attention sur une personne unique, à laquelle on pense sans arrêt, à qui tout nous ramène« , une dépendance émotionnelle, et un désir d’union émotionnelle et physique, « étoile filante mille fois réitérée« .

Mais cet état d’euphorie, cette attraction ressentie pour l’autre, est le fruit d’un savant cocktail chimique, précisait la neurobiologiste Lucy Vincent en août 2004 sur France Culture. C’était dans l’émission « Science Culture », au micro de Julie Clarini. Une émission intitulée « La biologie à la conquête de l’amour » :

ECOUTER : La biologie à la conquête de l’amour, Science Culture, août 2004  (Durée : 1h)

Ces processus complexes du ressenti amoureux sont les mêmes pour tous, et font appel à notre part animale, expliquait Lucy Vincent dans cette archive : « Nous sommes des êtres humains mais nous sommes des animaux aussi. Notre cerveau humain a une sorte de cerveau de singe en dessous qui garde beaucoup de comportements et beaucoup de réflexes qui sont liés à notre vie sauvage. »

De quelle manière l’amour naît, s’installe et perdure dans nos cerveaux d’anciens hominidés ?

« Pendant qu’on est dans cette phase d’amour que je qualifie de folie ( …) le cerveau est différent. » Lucy Vincent

Nota Bene. Le désir sexuel est-il indispensable à l’état amoureux ? « Pour certains, le désir sexuel est un ingrédient nécessaire aux sentiments passionnels des phases initiales de l’amour romantique. D’autres soutiennent qu’amour et désir sexuel appartiennent à des systèmes sociocomportementaux fonctionnellement indépendants, qu’ils ont des bases cérébrales différentes et des fonctions distinctes sur le plan de l’évolution. » Tout un débat, sur lequel nous ne nous attarderons pas davantage dans cet article, consacré à la construction de « l’amour romantique » par le cerveau.

Une première émotion, au premier coup d’oeil

Dans son essai Un cerveau nommé désir, Serge Stoléru évoque précisément la toute première étape de la rencontre amoureuse. Elle passe généralement (si l’on excepte les coups de foudre virtuels) par la perception visuelle. C’est l’activité du cortex visuel qui sera déterminante concernant la naissance d’une émotion (ou pas) dans un cerveau. Très basiquement, « plus un visage est symétrique, plus ce visage est évalué comme beau. »

« L’attirance que la beauté exerce sur nous semble en partie innée ; des expériences de psychologie conduites avec des bébés de 2 à 3 mois vont dans ce sens (…) Cela reste vrai dans différentes cultures. » Serge Stoléru

Une opération d’évaluation qui passe aussi par les souvenirs :

« Le cortex orbifrontal dispose de l’information selon laquelle telle ou telle personne nouvellement apparue dans l’environnement sera probablement associée à du plaisir, à du déplaisir, ou ni à l’un ni à l’autre. En effet, votre cortex orbifrontal reçoit des informations sur ce que vous avez ressenti comme agréable ou désagréable lors des expériences que vous avez vécues. » Serge Stoléru

Madone Sixtine (détail), 1513-1514•Raphaël
Madone Sixtine (détail), 1513-1514•Raphaël

Et c’est ce même cortex orbifrontal qui envoie un signal aux régions cérébrales nous permettant de ressentir des émotions, et notamment à l’insula : « L’insula, région en relation étroite avec le système limbique, nous permet d’avoir la perception consciente de certaines de nos réactions viscérales, telles que notre cœur qui se met soudainement à battre la chamade ». Suite à cette émotion, il nous faut généralement mobiliser une certaine énergie pour aller de l’avant, se rapprocher de l’autre, aller vérifier que le ramage est égal au plumage… tenter sa chance ! Et c’est cette fois la substance noire du cerveau qui agit, en libérant de la dopamine. Un neurotransmetteur… qui porte bien son nom, et envoie à l’organisme non seulement de l’énergie, mais aussi des signaux de plaisir et de bien-être. La dopamine joue un rôle clé durant toute la durée d’une relation amoureuse, et pas seulement à ses prémices.

Se sentir amoureux

« Il y a un emballement des systèmes de récompense qui font qu’on devient dépendant de notre partenaire. On se sent bien quand on est près de lui, quand il n’est pas là, il nous manque énormément… Tout ça ce sont les mêmes systèmes que ceux impliqués dans la prise de drogue par exemple. Ou même dans la quête de la nourriture, de la boisson, tout ce qui est la passion. Les systèmes de récompense sont terriblement impliqués dans l’amour. » Lucy Vincent

Le premier pas vers l’autre a été fait. Le choc émotionnel se transforme en un sentiment plus pérenne. Et c’est fichu : l’amour s’est installé. La première responsable de cette folie ? Au banc des accusés, l’ocytocine, qui est également appelée « hormone de l’attachement », et qui intervient aussi dans la maternité, assurant la force du lien mère/enfant : « La nature est économe, dans l’évolution, on voit à de nombreuses reprises la même substance, la même molécule, venir servir à plusieurs rôles« , explique Lucy Vincent.

« Probablement, lors de la mise en place de ce lien par l’ocytocine dans la jeune enfance, il y a beaucoup d’associations qui se mettent en place, une sorte de conditionnement presque, avec l’odeur du parent, avec des signes visuels, avec des sons qu’on entend. Et puis plus tard dans la vie, quand on a une répétition de tous ces stimulis là, ça ne peut que renforcer le lien qui se crée avec le partenaire. » Lucy Vincent

L’attachement est bien sûr également nourri de fantasmes, de rêverie. Une activité extraordinairement payante en dopamine, et qui se déroule au sein du réseau cérébral de l' »imagerie motrice : « Ces fantasmes sont intimement associés à l’envie d’agir, de sorte que l’activité fantasmatique est à la croisée de la composante cognitive et de la composante motivationnelle », détaille Serge Stoléru.

Et ces rêveries peuvent elles-mêmes prendre source dans les souvenirs vécus avec la personne aimée. C’est alors l’hippocampe qui s’enflamme, dans la cartographie cérébrale : « Pourquoi une région cruciale de la mémoire s’active-t-elle quand nous voyons l’être que nous aimons ? Est-ce parce que ce visage nous rappelle des moments heureux vécus avec lui ? C’est là l’explication la plus probable. »

Et après les premiers feux ?

Pour que l’amour perdure, le cerveau continue de tricher en désactivant certaines zones, dotant celui qui aime des « yeux de l’amour », explique Lucy Vincent : « On constaterait une baisse d’activité des parties du cerveau associée aux émotions négatives, au jugement de l’autre ». Précisant que le mécanisme est le même pour une mère qui regarde son bébé.

« Chez les hommes, l’ocytocine agit comme si elle rehaussait à leurs yeux la beauté des femmes qu’ils aiment. » Serge Stoléru

Quant à l’ocytocine, elle continue à cultiver l’attachement électif. La vasopressine également : ces deux « neuropeptides sociaux » sont secrétés par des neurones de l’hypothalamus. Tous deux sont responsables du sentiment d’amour exclusif, du « seulement toi« , lui aussi indispensable à la pérennisation de l’état amoureux.

« Est-ce que le schéma qui se dégage des études chez les rongeurs s’applique, mutatis mutandis, à l’amour humain ? ( …) Si c’est le cas, alors, lors d’une rencontre (qui sera) amoureuse ( …) la perception de la personne (destinée à être) aimée active à la fois les circuits dopaminergiques et les voies ocytocinergiques et vasopressinergiques impliquées dans l’identification d’une personne comme unique entre toutes. » Serge Stoléru

Serge Stoléru rapporte aussi qu’une expérience faite par des chercheurs de New York sur des conjoints de longue date (une vingtaine d’années), montre qu’une activation spécifique d’une zone de leurs cerveaux a lieu, lorsqu’on leur présente une photo de l’être aimé : le pallidum ventral, qui joue un rôle crucial dans la genèse des sensations de plaisir. Un constat qui vient fragiliser le propos de Lucy Vincent lorsqu’elle affirme (comme Frédéric Begbeider) que la « folie de l’amour » dure trois ans.

« Il y a des mécanismes qui se mettent en place pour que cette personne nous paraisse vraiment formidable, pour nous obliger à rester avec lui ou avec elle le temps de produire l’enfant et l’élever jusqu’à ce qu’il soit un tout petit peu autonome. » Lucy Vincent

D’ailleurs, la neurobiologie (et son lot de théories évolutionnistes) n’est évidemment pas la seule discipline à avoir son mot à dire concernant l’état amoureux. Le psychisme individuel, nourri d’une culture singulière, est la pierre d’angle de ce sentiment, et détermine la façon dont il est vécu par chacun. Car l’homme moyen n’existe pas. Mais ça… c’est une autre histoire.

« L’amour c’est certainement biologiquement quelque chose de primordial, très intéressant, mais pourquoi est ce qu’on y attache autant d’émotion et d’importance ? C’est parce que nous avons pu – et je pense évidemment à Shakespeare – exprimer cet amour dans des termes très émouvants. » Lucy Vincent

Le dernier baiser de Roméo et Juliette, 1823•Francesco Hayez
Le dernier baiser de Roméo et Juliette, 1823 • Francesco Hayez

 

 

 

 

 

Bibliographie :
Un cerveau nommé désir : sexe, amour et neurosciences, de Serge Stoléru, éditions Odile Jacob, 2016

 

Diffusé sur France Culture, 23.12.2016,
par Hélène Combis-Schlumberger